Depuis les années 40 et sous l'influence des Etats-Unis, Noël suscite une mobilisation sans précédent dans le cycle des réjouissances annuelles : nous l'éprouvons tous comme un héritage collectif. De la Toussaint au Nouvel An, il surexpose la scène sociale, et transfigure nos paysages urbains. Sacrée, traditionnelle et moderne, cette célébration du merveilleux rassemble les contraires. Ombre et lumière, passerelle entre le monde des morts et celui des vivants, Noël impose une lecture manichéenne de l'événement sur le mode de l'effroi ou de la féerie. Véhiculant une imagerie bien spécifique, tissée de religion, d'histoire et de folklore, Noël recouvre un patrimoine très largement exploité par le cinéma, la littérature et les arts. Citons Miracle on 34th Street de J. Huston (1947), Le Conte de Noël de Dickens, La Petite Marchande d'Allumettes d'Andersen, sans oublier les regards émerveillés des enfants devant les vitrines qu'ont capturés Doisneau, Ronis, et bien sûr la chanson de Tino Rossi, Petit Papa Noël. Si la tradition familiale célèbre l'enfant roi, pilier de la nouvelle trinité Famille-Enfance-Charité, Noël est devenu un hymne à la gloire de l'argent, et ce, dès la fin du XIXe siècle. Santa Claus, le Père Noël et les lutins scandinaves sont autant de supports publicitaires, pourtant leur essence « divine » neutralise toute connotation négative de matérialisme. Symbole de nos sociétés de consommation, Noël n'en demeure pas moins une période propice à l'attendrissement sur soi et sur les autres ; en témoignent les actions caritatives et le court arrêt des hostilités. C'est ce registre que Martyne Perrot ne cesse d'interroger. Sous sa plume, Noël devient un « objet anthropologique total » en ce qu'il condense et révèle les fractures de notre époque.