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Petit voyage dans l'âme allemande

Francesca Pedrazzi, Vanna Vannuccini

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Deutsche Sprache, schwere Sprache, langue allemande, langue difficile, dit-on aux néophytes pour les réconforter. C’est surtout une langue précise… Poser un livre sur une étagère se dit hinstellen, le poser sur une table : hinlegen. Comment confondre en effet l’acte de mettre un objet à la verticale et celui de le mettre à l’horizontale ? Qui ne saisirait pas sur-le-champ la différence entre « sortie » (Ausgang) et « sortie de voitures » (Ausfahrt) risque, de buter, à bord de son engin, contre une volée de marches. Toute chose a sa place et toute place a sa chose : cette maxime a trouvé sa réalisation dans la langue allemande.
Les mots font et défont l’identité allemande, et l’histoire des mots « intraduisibles » est aussi l’histoire de la transformation de l’Allemagne au cours des ces vingt dernières années. Par exemple, Nestbeschmutzer, le souilleur de nid, le dénigreur : c’est ainsi que les conservateurs allemands considéraient Willy Brandt après qu’il se fut agenouillé à Varsovie. Vous trouverez des Quotenfrauen, ou « femmes de quota », comme Angela Merkel, et des exemplaires typiques de Rechthaber, « ceux qui veulent toujours avoir raison », tel cet ancien ministre de la Défense Rudolf Scharping.
Parfois, ces termes ont modifié le cours de l’Histoire. C’est le cas de la Männerfreundschaft, l’amitié entre hommes, un concept assez important, aux yeux d’Helmut Kohl. Ainsi, l’amitié franco-allemande, force motrice de l’Europe, est née à Verdun, où Kohl et Mitterrand se sont pris par la main. Plus tard, Mikhaïl Gorbatchev et le chancelier allemand, qui après une méfiance initiale, manifestèrent une entente parfaite : l’Union soviétique approuvait la réunification de l’Allemagne. Ils étaient parvenus à cet accord au cours d’une promenade dans les bois, le Wanderweg, le chemin de randonnée.
Mais si l’Allemagne se transforme, les Allemands demeurent fidèles à l’importance du mot. Dans le monde des SMS et des barrières médiatiques, il semble de plus en plus difficile de reconnaître les choses derrière les mots. Les Allemands, eux, n’ont pas perdu cette capacité. Ce n’est pas un hasard s’ils lisent plus que les autres Européens et si les salons du livre sont nés dans leur pays. Est-ce la tradition romantique, qui veut que seule la langue poétique puisse pénétrer la réalité en profondeur ? Le fait est que les Allemands apprécient les tons littéraires jusque dans les situations les plus catastrophiques. Alors que Dresde se noyait sous une inondation séculaire causant plus de vingt morts et des milliers de sans-abri, le Spiegel, le plus grand hebdomadaire allemand, titrait en couverture : Quand les fleuves se noient dans l’eau…