Si Diderot, Stendhal et, d'une certaine manière, Dostoïevski n'avaient pas existé, Jacques Laurent n'aurait peut-être pas écrit ce roman. Roman d'amour qui nous révèle, sous une lumière que la mort vient colorer d'une façon à la fois érotique et tragique, l'affrontement d'un homme et d'une femme, entre lesquels un secret inégalement partagé crée des liens pathétiques, marqués d'une générosité et d'une humanité qui leur confèrent une émotion et une grandeur classique et en font une oeuvre dont la modernité prend dans l'ensemble de notre littérature romanesque une résonance singulière. Le sujet est-il situé dans le diagnostic médical qui, limitant l'existence de Paul, crée entre lui et ceux qui l'aiment des relations rebelles à l'analyse ? Est-il dans le portrait d'un homme aux prises avec les femmes qu'il a chéries ou qu'il chérit, les passants qu'il rencontre, ses fantasmes, son impatience et sa tendresse ? Est-il dans le caractère de Juliette, partagée, elle aussi, entre le passé, une enfance tchèque qui a tourné à l'horreur, et un présent sensuel qui tourne à l'angoisse et se résout dans l'action ? Ce livre, avant tout oeuvre de romancier, est donc lié à toutes les forces claires ou obscures qui soutiennent notre passage sur la terre.