"Le sport devient un phénomène universel, mais reste une énigme.
D’abord, pourquoi court-on, s’enrôle-t-on dans la foule d’un Paris-Versailles ? Sûrement pas pour le plaisir aléatoire de dépasser celui qui précède, ni pour la modeste gloriole d’impressionner quelques proches. Peut-être d’abord pour s’assurer qu’on existe encore, qu’on peut encore s’extasier hors de soi, s’arracher à la quotidienneté et s’ouvrir au vrai monde. Bref pour unifier en soi la machine et l’âme en un seule chair, la mienne. Et que l’on en passe par une balle, un vélo ou une équipe, il s’agit toujours d’entrer dans un autre monde, le vrai. Ici, l’important c’est de « participer » à cet autre monde.
Ensuite et au contraire, le sport se déploie comme une économie du combat, de la rivalité mimétique, où gagner signifie éliminer réellement ou symboliquement l’adversaire. Mais cette économie du combat – « Plus fort, plus haut, plus vite ! » – aboutit à une économie du spectacle : il faut maintenir des spectateurs, sportifs par procuration, tous transformables en autant de consommateurs d’images et de produits eux aussi supposés sportifs. Alors tous les moyens d’expansion du marché deviennent possibles, nécessaires mêmes, dopage compris.
Entre ces deux définitions, le sport, aujourd’hui, ne sait pas choisir. Où donc court-il ? Et pour combien de temps encore ?"
Jean-Luc Marion, philosophe supposé ardu, mais reconnu pour, entre autres, Prolégomènes à la charité, Dieu sans l’être ou Etant donné, sort ici de sa zone de confort. Ou plutôt il parle de ce qu’il a très bien pratiqué et connaît toujours : la course à pied, en compétition, qui fut même, un moment, la tentation d’une vraie carrière. Il tente ici d’évoquer la course dans la tête de l’athlète, de reconstituer l’odyssée de champions qu’il a connus et admirés, de percer la logique de la balle et de la passe, de dénouer la moralité et l’immoralité de la compétition. Il le fait avec une précision technique obsessionnelle, dans une langue magnifique et pure.
À la fin, il nous pose la vraie question : quelle expérience spirituelle se joue dans cet étrange double jeu ?
D’abord, pourquoi court-on, s’enrôle-t-on dans la foule d’un Paris-Versailles ? Sûrement pas pour le plaisir aléatoire de dépasser celui qui précède, ni pour la modeste gloriole d’impressionner quelques proches. Peut-être d’abord pour s’assurer qu’on existe encore, qu’on peut encore s’extasier hors de soi, s’arracher à la quotidienneté et s’ouvrir au vrai monde. Bref pour unifier en soi la machine et l’âme en un seule chair, la mienne. Et que l’on en passe par une balle, un vélo ou une équipe, il s’agit toujours d’entrer dans un autre monde, le vrai. Ici, l’important c’est de « participer » à cet autre monde.
Ensuite et au contraire, le sport se déploie comme une économie du combat, de la rivalité mimétique, où gagner signifie éliminer réellement ou symboliquement l’adversaire. Mais cette économie du combat – « Plus fort, plus haut, plus vite ! » – aboutit à une économie du spectacle : il faut maintenir des spectateurs, sportifs par procuration, tous transformables en autant de consommateurs d’images et de produits eux aussi supposés sportifs. Alors tous les moyens d’expansion du marché deviennent possibles, nécessaires mêmes, dopage compris.
Entre ces deux définitions, le sport, aujourd’hui, ne sait pas choisir. Où donc court-il ? Et pour combien de temps encore ?"
Jean-Luc Marion, philosophe supposé ardu, mais reconnu pour, entre autres, Prolégomènes à la charité, Dieu sans l’être ou Etant donné, sort ici de sa zone de confort. Ou plutôt il parle de ce qu’il a très bien pratiqué et connaît toujours : la course à pied, en compétition, qui fut même, un moment, la tentation d’une vraie carrière. Il tente ici d’évoquer la course dans la tête de l’athlète, de reconstituer l’odyssée de champions qu’il a connus et admirés, de percer la logique de la balle et de la passe, de dénouer la moralité et l’immoralité de la compétition. Il le fait avec une précision technique obsessionnelle, dans une langue magnifique et pure.
À la fin, il nous pose la vraie question : quelle expérience spirituelle se joue dans cet étrange double jeu ?