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À soixante-douze ans, elle se souvient : avoir eu faim, avoir eu froid ; avoir faim, avoir froid. Elle a été jeune et fraîche, et belle quelques mois comme le sont les filles du peuple, et miséreuse déjà. La mer qui lui apportait chichement de quoi tromper la faim, lui amène, au temps de cette jeunesse, de quoi la satisfaire : des matelots.

De quoi vivent les humbles, les gens d'en-bas, sur ce rude bord de l'Atlantique canadien ? De la mer, et mal : des coques, des éperlans, des herbes marines dans les quelques semaines de printemps, des copeaux d'épaves pour se chauffer. Et les bons de ravitaillement de l'aide aux miséreux - pardon : du ministère du mieux-être - quand le poisson se fait trop rare.

Et des ménages. Les plus rebutants, ceux que font les sagouines de partout, à genoux entre le siau et la moppe. Combien de femmes se reconnaîtront ici dans cette esclave qui, sa vie durant, a fourbi pour les autres, décrassé pour autrui, lavé pour l'étranger, et qui est pour tous la souillon, la sagouine.

Un maître livre à coup s-r, malin, pointu, pénétrant, humain et plus qu'humain. Et, comme le disait Melville lui-même de son " Moby Dick " : a wicked book, un livre qui perce l'âme.

Jacques Cellard