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La mélancolie des innocents

Jean-Pierre Milovanoff

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Pour Victorin Jouve, le chasseur d'histoires, le rêveur immobile de Solignargues, « toucher du bout des doigts la vieille pastière des vendanges qui garde encore l'odeur du moût aigre, c'est comme traverser le Takla-Makan pour un homme en bonne santé ». Cloué à son fauteuil d'invalide, avec pour interlocuteur un jeune journaliste (Sacha Milanoff !), Victorin n'a d'autre projet que de raconter la vie des morts : sa propre famille imaginée, laissée dans l'ombre, faite « des chimères, des rêves de chaque nuit qui se défont inexplicablement avant le jour ». Commence alors un long « travelling arrière » depuis le dernier quart du dix-neuvième siècle jusqu'à l'an 2000. Impossible de tout narrer de ce qui fait la densité lumineuse de cette saga des Innocents, ces enfants joueurs et mélancoliques, ces fragiles qui trébuchent dans la cour du Mas des Turcs, dans la lumière des heures chaudes. Voici Saturnin, le fondateur de la lignée, ancien voleur de chevaux et pourvoyeur de plaisirs, dont les copies de statues monumentales seront brisées par sa veuve, encore jeune. Voici Baptistine, qui fut la plus belle femme d'Istanbul, quittant le Bosphore pour le Languedoc, et rachetant la propriété de Solignargues, rebaptisée le Mas des Turcs. Voici sa fille Rosalie, dont la robe blanche à double rangée de boutons est bientôt défaite, « avec une adresse d'écosseur de pois », par Paulin le photographe, aussi bonimenteur que mystérieux, et qui lui fera un enfant - la mère du narrateur. Voici Léonce, l'oncle du narrateur, suspendu à son arbre par des miliciens, et qui n'en descendra, brisé, que pour rejoindre les abeilles que cet apiculteur un peu idiot caresse des heures durant. Comme un cliché sépia qui s'anime, comme une dernière photographie avant l'oubli, cette vraie-fausse chronique familiale - où le narrateur invente volontiers, doué d'une exubérance parfois amère - tisse tous les destins ensemble. Jean-Pierre Milovanoff, en son Languedoc, a écrit une oeuvre ample, chaude et pleine d'humanité, de tendresse, mais aussi d'ironie sombre, que caresse le vent de l'Histoire.